Mathilde et Thibault sont deux personnages en prise à deux autres, désincarnés et si présents, si source de violence : Paris et le monde de l’entreprise.
Mathilde était, il y a encore 6 mois, une femme épanouie dans son travail avec un poste à responsabilité. Thibault avait choisit de ne pas rester médecin de campagne et était arrivé très vite dans la capitale pour se confronter à la misère et aux humeurs physiologiques. Il était passionné par cette ville grouillante et cet accaparement par le travail.
Et puis soudainement, ou par un déroulement du temps anodin, la situation devient plus grave, la violence du quotidien, sourde au départ, devient réelle. « Les heures souterraines » prennent consistance pour donner une pesanteur.
*source métro parisien
L’entreprise brise peu à peu Mathilde. Ce système de fonctionnement, clos, aux conventions de communication, l’enserre comme élément perturbateur à la productivité. L’efficacité professionnelle et l’hypocrisie confortable ont, un jour, trouvé une faille humaine et un chef va l’utiliser pour anéantir ce qui a fait revivre Mathilde. Les pertes de repères professionnels se suivent, de détails, ils deviennent un engrenage déshumanisant où le silence et la honte sont les premiers maillons.
De son côté, Thibault se retrouve confronté aux misères, isolements, petits et grands maux des hommes en ville. Toujours sur la brèche, en action ou dans les embouteillages, entouré de bruit, il sillonne Paris : réseaux de routes, logements en pagaille et pourtant solitude. Avec le temps et ce rendement horaire obligatoire, les relations humaines lui manquent, de celles qui stabilisent, apaisent, soutiennent. Son amour du moment manque de cette consistance, l’échange de fluides ne règle pas ce qu’il aurait pu prendre pour un décalage de rythme, de langage. Il reste maladroit de n’être pas incarné en dehors d’un lit.
La ville et l’entreprise ne permettent plus cette récupération corporelle qui donne envie d’un autre jour. Le temps défile comme les jeux de cartes personnifiés que s’échangent les mômes et au fur et à mesure, Mathilde et Thibault se perdent.
Il y a un espoir, que quelqu’un quelque part soit là pour eux. Peut-être qu’aujourd’hui, en ce 20 mai, ils peuvent se rencontrer, choquer leur épuisement, leur absence à eux-mêmes, pour revenir. « Quelqu’un qui comprendrait qu’elle ne peut plus y aller, que chaque jour qui passe elle entame sa substance, elle entame l’essentiel. » Peut-être que ce manque, un deuil ou des doigts en moins, va les rapprocher, les faire se reconnaître, pour ne plus se définir « par la soustraction » mais par le soutien, la compréhension, l’adjonction de présence chaleureuse.
Ce roman fait la part belle à tous ces éléments qui perturbent le droit file des jours. Pièces à éliminer d’une entreprise qui n’a plus le temps de s’intéresser aux états d’âme, qui, à certains moments, pour certains êtres, devient une « mise à l’épreuve de la morale ». Personnes en détresse comme une galère médicale, comme perte de temps dans les transports. La déshumanisation est partout et les espoirs sont fugaces. « - Croyez-vous qu’on est victime de quelque chose comme ça parce qu’on est faible, parce qu’on le veut bien, parce que, même si cela parait incompréhensible, on l’a choisi ? Croyez-vous que certaines personnes, sans le savoir, se désignent elles-mêmes comme des cibles ?
(…)
- Je ne crois pas, non. Je crois que c’est votre capacité à résister qui vous désigne comme cible. »
On aimerait croire que Mathilde et Thibault se rencontrent, même tardivement même si « Les gens gentils sont les plus dangereux. Ils menacent l’édifice (…). »
« Ce blog a décidé de s'associer à un projet ambitieux : chroniquer l'ensemble des romans de la rentrée littéraire !
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2 commentaires:
Tiens c'est un des thèmes de "Un dieu un animal" :)
Ah oui je le lirais bien et ton billet comme d'habitude est magnifique !
Lily: je le mets dans mon sac pour la prochaine fois.
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