La boucle se boucle.
Il y avait des indices à cette vocation tardive de prof.
L'école, cet espace de liberté, de satisfaction d'une curiosité que je réfrénais. Un lieu de paroles, peut-être biaisé mais tout de même. Loin des cuisines, lieux familiaux des femmes de la famille, promptes à parler du médical, du sale, de l'ordure, adeptes de l'hygiénisme. Il y avait bien une grand-mère qui considérait que l'enfant avait le droit à la parole - jusqu'à ce qu'elle soit critique. Des hommes de l'ombre qui ont marqué et laissé des traces indélébiles: des livres, des livres, des livres. Incapables qu'ils étaient d'en parler j'ai dû attendre pour comprendre ce qu'ils voulaient que je lisent. Ce petit objet de papier m'a ouvert des portes que j'emprunte, claque, ouvre et ferme, agite en tous sens pour faire passer le vent, les idées.
L'école comme un lieu où je pouvais évoluer, grandir, me permettre de comprendre, de prendre position. Je ne vais pas dire que ce fut le cas. Mais au moins je voyais entre les lignes le champ des possibles. Je n'ai pas compris grand chose même pendant mes études supérieures, juste que j'étais capable de plus... j'allais m'engouffrer dans le plus, toujours, encore, allant chercher encore et encore de quoi réfléchir, contredire et adouber quelques personnes.
Il y avait des indices de cet "attrait" pour l'autre, le différent. Culturel, mis au banc de la cour de récréation, celui qui n'est pas compris, celui qui ne comprend pas. Je n'ai pas vraiment eu d'amis enfant. Par contre, je fus de celle qui, chaque année, a réconforté ceux qui ont subi... raccompagnant, écoutant, consolant, me levant à pas d'heures avec les pionnes d'internat. Il y avait bien-sûr l'enfance et l'adolescence comme lieu de transition.
Voir des enfants, dit "arriérés", dans les hospices, juste atteints de trisomie 21, d'autres dans des établissements sans éducation réelle. Puis vivre de l'intérieur la construction de l'échec scolaire juste parce que la manière de concevoir le monde n'est pas le même.
Et puis j'ai construit ma grille de lecture du monde grâce à la sociologie. Je me suis passionnée pour le traitement de l'homme par l'homme: de l'enfant sauvage Victor, éduqué et violenté par Jean-Gaspard Itard, les orphelinats pouponnières où les enfants isolés n'ont pas de développement mental, les asiles, les prisons, les "traitements" de la folie. Michel Foucault comme première approche. Je me suis intéressée à ces enfants empêchés d'apprendre, via Maria Montessori, psychiatre pour enfants débiles. Je me suis intéressée à la violence subie, à la violence comme réponse aussi, de la part de ces enfants/ ados.En sociologie, mon mémoire portait sur la représentation du monstre. Encore un peu trop fragile pour prendre le sujet de front, je l'ai approché par le versant culturel: ce qui nous parait monstrueux dans l'autre, les foires aux monstres, la folie. Mais déjà le défaut d'inhibition y était. De manière un peu tapageuse, un peu révoltée, le monstre et sa part d'humain à ne pas montrer: folie et corps à ne pas présenté, entre le monstre perturbant sexualisé Alien, et la vraie réticence de l'homme pour l'homme. Déjà.
Et me voilà dans le rôle de professeur d'élèves à besoins éducatifs particuliers. Je viens de sortir d'un cours de ma formation au CAPPEI (et 1ère année de APRIBEP): l'image et la gestion du fou dans l'histoire. Tous les noms que nous avons donné, donnons encore à ces individus non compris par défaut de la science, par imagerie médiévale, religieuse, médicale, psychiatrique. Passionnant! Et avec un prof volontairement déstabilisant, nous incitant à une révolution intime. C'est mon tuteur cette année. Je ne sais pas si je pourrai échanger librement avec lui. Nos cours sont un peu parasités par des comportements, ben, limites (ou du moins très sclérosants pour moi). Mais sa vision me plait, si un jour j'arrive à en placer une. Aller dans la situation où notre narcissisme de prof ne sera jamais satisfait: n'être pas prof des bons élèves mais de ceux en échec scolaire, de ceux empêchés d'être de bons élèves.
Qu'attendons-nous de nos élèves? Sa rappeler que Pinocchio n'est pas humain quand il change de peau, de bois à humaine, mais bien quand il ment.
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