vendredi 28 décembre 2007

Dédoublement d'amour

Il y a des lectures comme des amis. Quelques mots bien précis, des réflexions fines, des vécus peuvent nous amener à réviser notre jugement et améliorer l’expression de nos maux. « Le petit ami » de Paul LEAUTAUD est de celui-ci.



Il s’agit d’un ouvrage autobiographique, le petit ami étant cet enfant que nous pouvons retrouver en regardant son propre reflet dans la glace…. « mais si, malgré moi, je me laissais aller, ça et là, à trop d’émotion, qu’on veuille bien songer, pour m’excuser, que ce petit garçon que je fus autrefois n’a que moi, ici-bas, pour orner son souvenir et pour dire ce qu’il montrait déjà de tendresse et de rêverie. »

*source illustration: Toulouse-Lautrec

Léautaud nous donne à suivre ses ressentis par rapport aux premières femmes de sa vie, en commençant par sa mère. Il serait possible de ne lire entre les lignes qu’un complexe d’Œdipe non résolu, nous aurions tord. Il s’agit plus d’une irresponsabilité de cette mère. En plus d’abandonner son enfant, issu d’une relation de passage, dès le début, elle se permet de le revoir pour être moins une mère qu’une séductrice. Loin de cet amour maternel fondateur, solidifiant, soutenant, elle ne propose que la femme cible des pulsions. Nous avons aux deux entrevues qu’il aura avec elle, enfant et jeune homme, les manipulations de cette dame qui ne cherche qu’à plaire. Elle joue à chaque geste sur la limite de la décence. En manque d’amour filial, très vite accompagné par des femmes de « petites vertus », le petit ami s’égare à ne voir en la femme que cette source de charme, de séductions, de chaleur humaine sexuée (sans forcément en user). Même plus, il croit en ce dédoublement de tendresse, amoureux de désir et filial, comme lui peut dédoubler son amour en toutes cajoleries platoniques et ses pulsions sexuelles.
Une correspondance encore plus trouble voit le jour. Un jeune homme éperdu d’amour filial, maternel et de sentiment, s’éprend de la figure idéalisée de cette maman qui ne perd pas de son charme. Et cette mère se perd, joue, manipule, se reperd… elle dévie de ses sentiments maternels, sains, vers ceux plus troubles, des sentiments ambivalents pour cet homme qui a encore sous ses traits quelques uns des siens, un certain narcissisme, une envie de plaire, d’être aimé, de récupérer ce temps perdu, de magnifier le temps restant…et puis de la honte, du ressenti sur sa propre culpabilité.

Le petit ami, abandonné par sa mère, accompagné dans sa jeunesse par les maîtresses de son père, dormant dans la chambre de sa nounou tous les soirs, cherche l’agrément des femmes, de celles qui offrent leur corps et ne cachent rien, qui donnent ce qu’elles ont promis. Elles savent déceler « le sens profond des choses sérieuses». Serait ce un cynisme des relations amoureuses, du sentiment en lui-même ? Je ne l’ai pas lu comme cela, mais plus comme une idéalisation du sentiment, une distinction des pulsions et de la demande de chaleur humaine architecturante. De plus, je serais tentée, comme ce petit ami, de préférer les femmes usées (par l’amour encore plus que par le reste) aux autres, fades de sophistication, outrageusement riches jusque dans leurs antirides et étirements de peau, trop jeunes (en soulevant les jupons j’ai peur d’y voir des arrangements de mauvaises sorcières). Je leur envie cette « usure éclatante et triste ».
Jeune adulte, il retrouve une affection manquante en se rapprochant de ses femmes, « catins », et se trouve des similitudes de pensée, dénuée des compromis, un peu « fatigué avant l’ouvrage ». Ces rapports sont moins issus d’un amour d’adulte que d’un amour filial, lui lapant un sein dépassant comme un nourrisson plus que comme un amant.
Léautaud nous livre aussi ses appréhensions d’écrivain, sa méthode spontanée : commencer par être paresseux, emmagasiner, vivre dans des lieux de vie et non de musée et ne rien recommencer. Que j’aimerais le suivre dans cette voie…

« Voilà ce que c’est que de prêter les livres des gens que l’on connait : on s’entend dire sur eux des choses qu’on pense tout bas. » Peut-être penseras-tu cela, Holly . Merci pour cette lecture, mes lignes de pensées t’ont déjà été dévoilées… je ne peux finir que par une des phrases de cet auteur, si proche de certains de mes cheminements vacillants : « Je voudrais encore que des bras affectueux me portent dans la vie pour m’en éviter les heurts et les fatigues. »

4 commentaires:

Holly Golightly a dit…

Hier soir, j'étais déjà un peu malade, et pourtant j'ai lu ce texte que je relis ce soir. Je suis fiévreuse, mais cela n'est pas simplement dû à ma petite maladie. Il se dégage de tes lignes quelque chose qui me procure une immense émotion. Ce livre, tu me l'as restitué dans toute sa foce et dans toutes les raisons qui ont fait que ce livre disait une part de ma vie. Ce livre, c'est un fragment essentiel de ma mosaïque.
Je crois que, pour comprendre avec tant d'intelligence Léautaud, il faut avoir beaucoup vécu. Et je ne parle pas d'âge, bien entendu.
Oui, tu as dit ce que je pense tout bas, depuis des années. Et, vois-tu, mon secret, c'est que je ne me suis jamais sentie capable de parler directement de ce livre, sans allusions ou sans me cacher, parce que cela me faisait trop mal. Tu as réussi en accueillant ce livre, en l'aimant, en le comprenant, à me guérir d'une forme de mutisme.
Merci pour ce cadeau. Tu es très forte.

Anonyme a dit…

comment ne pas le lire, après vous avoir lu toutes les 2....j'ai la gorge serrée, et une prtite fille en moi qui pleure encore parfois, alors oui, je vais le lire...merci!
amélie-note!

VanessaV a dit…

Holly golightly: merci pour tes mots, tu sais maintenant à quel point ils me touchent. Ton présent a été une part d'expression de mes souffrances...merci infiniment. Et mon mutisme est autre. Je le désigne avec brutalité sans m'en désaisir, je le module en bouche, je me gargarise avec... je ne le lache pas quand il le faudrait. Mon mutisme est dans cette inaction, cette impression de subir. Le cadeau, c'est toi qui me l'a apporté sur un plateau....

Amélie-note: je pense que ce livre parle aux souffrances enfantines mais aussi à ceux qui ont regardé les femmes sous tous les angles. Bonne lecture explicite...

Lyvie a dit…

merci vanessa pour m'avoir guidée vers ce billet. Il est très fort. Je le note. Il semble d'une belle acuité sur le sentiment amoureux, et son lien avec nos fêlures d'enfance.